LOOKING FOR FRANKIE, PAR THIERRY


 

       Thierry, un chasseur d'autographes, a accepté pour le site de nous raconter régulièrement quelques anecdotes sur ses "chasses d'autographes". Le premier article concerne donc sa rencontre avec l'immense Frank Sinatra...

 

       La première fois où j’ai tenté de rencontrer Frank Sinatra est si lointaine que je dois faire un effort de mémoire pour en retrouver chaque instant. J'ai croisé tellement de célébrités au cours des trente dernières années que les années exactes sont parfois difficiles à retrouver.
      L'intime conviction que c'était durant l'été 1984 ne me suffit cependant pas et c'est un matin d'août que je décide d'aller vers l'information en appelant dans un premier temps l'office du tourisme de Monte-Carlo qui, bien entendu, me communique immédiatement le numéro de téléphone de la Société des Bains de Mer.
La SBM, comme on l'appelle ici, est une véritable institution monégasque à laquelle le touriste peut difficilement échapper. Tout semble lui appartenir : le théâtre, les plus grands hôtels, le Sporting-Club où se sont produites les plus grandes Stars du spectacle.
      Frank Sinatra, à l'instar de Cary Grant, était un ami de longue date des Grimaldi et surtout de Grace Kelly qu'il rencontrait à chacun de ses passages à Monaco. D'ailleurs, il n'avait pas cru à l'annonce de son décès en 1982 et avait dû personnellement s'en assurer par téléphone.
      Depuis le mariage de Grace Kelly avec le prince Rainier III, l'inoubliable interprète de "Strangers in the night" était devenu un habitué de la ville la plus sûre du monde. A l'hôtel de Paris, il occupait le plus grand appartement de l'établissement, celui de Winston Churchill et, même s'il ne chantait pas, effectuait des séjours à titre privé dans ce haut lieu. Se sentant ici chez lui, il aimait la principauté et celle-ci le lui rendait bien. Même au cours des dernières années où le crooner, qui oubliait son texte et chantait avec un prompteur, faiblissait mentalement et physiquement, le public l'ovationnait à chacune de ses apparitions sur la scène du Sporting Club.
      "Allo, la SBM ? Bonjour. Pourriez-vous avoir la gentillesse de me communiquer les dates auxquelles Frank Sinatra s'est produit à Monaco au cours des vingt dernières années ?" Un homme aimable me passe le service de presse et c'est une charmante jeune femme qui me répond qu'elle va me rappeler, avec toutes les informations, dans un petit moment. Mon coeur bat la chamade : me suis-je trompé sur la date, ma mémoire me fait-elle déjà défaut ? Je ressens presque une inquiétude tant ces souvenirs ont pour moi une importance capitale.
J'ai presque donné ma vie à ma passion et je me rends compte aujourd'hui que ces moments du passé sont un patrimoine sentimental. En approchant ces monuments du rêve universel que sont les stars, j'ai mis en pratique ce que des millions de gens aimeraient faire et je n'ai pas le droit de laisser s'envoler ces instants magiques comme n'importe quelle anecdote de la vie.
      Le téléphone sonne. "Bonjour, pourrai-je parler à Thierry ?"
      C'est la jeune femme de tout à l'heure. Je vais donc enfin pouvoir graver ces précieux moments.
      "Donc, à chaque fois que Frank Sinatra est venu chanter à Monaco, c'était à l'occasion du bal de la Croix-Rouge..."
      Le chanteur offrait systématiquement son cachet aux œuvres caritatives de cette association.
      "La première fois était le 8 août 1980..."
      Non je n'avais pas commencé la collection.
      "La deuxième fois était le 5 août 1983 , avec Sammy Davis Jr..."
      Tiens, cela pourrait coïncider mais je demeure circonspect car, en 83, je n'allais pas encore à Monaco l'été. Mon moment monégasque tombait en février, pendant le festival de télévision.
      "Et la dernière fois était le 7 août 1992..." Je suis vraiment très surpris quand l'agréable attachée de presse ajoute "Ah, non, j'oubliais le 10 août 1984, avec Aznavour, Elton John et Liza Minelli".
      C'est fait, j'ai ma date ! C'est donc dans la matinée du 10 août 1984 que je me suis rendu à Monaco, avec la ferme intention d'obtenir mon premier autographe de Frank Sinatra.
      Je me revois, fouinant dans la discothèque de mes parents, pour en exhumer un vieux 45 tours "That's life" et filant tout droit vers Monaco dans ma petite "deux chevaux" bleue.
      A Monaco, il n'y a guère d'endroits où chercher les célébrités. Par expérience, je peux dire que l'hôtel Hermitage est plutôt fréquenté par les vedettes françaises ou italiennes. Les grandes stars de la scène internationale descendent plus facilement à l'hôtel de Paris, l'un des palaces les plus beaux, les plus chers et les plus connus du monde.
      Je reviendrai souvent sur l'hôtel de Paris car j'y ai un réservoir pléthorique de souvenirs. Reste le Loews (Plutôt pour le restaurant que pour les chambres), le Métropole (Céline Dion semble y avoir ses habitudes) et le Beach Plaza (on peut y croiser Claudia Cardinale ou Rod Stewart) sur le boulevard du Larvotto.
      En 1984, c'était un jeu d'enfant (et j’étais encore un peu un enfant) d'entrer à l'hôtel de Paris. Mieux : je me rendais à la réception et demandais le plus naïvement du monde le numéro de téléphone de la chambre d'un VIP ou, plus simplement encore, le numéro de sa suite.
      Cela peut sembler incroyable mais c'est vrai. Entre 1981 et 1989, ce genre de choses pouvait se produire. C'est ainsi qu’à l’hôtel Carlton de Cannes, j'ai cogné aux portes de Sigourney Weaver, Jerry Lewis ou Nastassja Kinski et que j'ai téléphoné à James Coburn (Hôtel de Paris), Fats Domino (Hôtel Radisson de Nice), Ellen Burstyn (dont j'ai conservé un enregistement, témoignage laborieux de mon anglais catastrophique de l'époque) et bon nombre de vedettes du cinéma français.
      Et soudain, est-ce après les menaces islamistes qui pesaient sur l'Amérique et ses citoyens (Le festival de Cannes déserté par les Américains), est-ce après les traques infernales de Paparazzi (De Niro et Harvey Keitel malmenés par la peu cinéphile douane italienne à qui des paparazzi avait donné le signalement des deux acteurs en indiquant que ceux-ci étaient de vulgaires trafiquants ou Richard Gere persécuté dans les rues de Paris), est-ce après les nombreuses menaces de détraqués pesant sur Hollywood, tout ce beau monde s'est entouré de gardes du corps, de sécurité et de précautions parfois insensées pour échapper au public.
      Pourtant, Jack Nicholson prenant un bain de foule en 1981, sur la croisette à Cannes, pendant que Jessica Lange, sa partenaire du film "The postman always rings twice" se terrait dans sa chambre d'hôtel, n'est-ce pas cela le glamour, n'est-ce pas ceci la magie ?
      "Bonjour Monsieur, pourriez-vous avoir l'amabilité de me communiquer le numéro de la chambre de Monsieur Sinatra ?" C'est vrai, que devant le réceptionniste, je n'en menais pas large. Qui pouvait être ce jeune homme d'une vingtaine d'années qui, avec tant de candeur, posait une question aussi incongrue. Tout aussi étrange fut la réponse : "C'est facile, vous prenez l'ascenseur du fond et vous appuyez sur la dernière touche. Tout l'étage lui est réservé."
Incroyable ! C'était donc aussi simple que ça ?

      Dans l'ascenseur, je n'arrivais pas à croire ce qui m'arrivait. C'est vrai que je ne paraissais pas 19 ans mais 16, c'est vrai que j'avais l'air inoffensif, mais quand même, ce qui m'arrivait là était un véritable rêve et, droit dans mon pantalon, je me disais que cet ascenseur allait m'emmener au paradis du collectionneur d'autographes.
      Mes illusions s'écroulèrent vite quand les portes automatiques s'ouvrirent sur deux gaillards dont les étuis "holsters" de revolvers "Smith and Wesson" m'avaient précipité dans un épisode des "Incorruptibles".
      Je dus rapidement décliner mon identité et dire ce que je faisais dans cet ascenseur, et plus précisément à cet étage.
      Très spontanément, il valait mieux, j'expliquai le motif de "ma visite". Les deux types furent plus que sympathiques et me répondirent que ce n'était pas possible.
      Devant ma déconvenue, l'un deux prit le disque et alla cogner à la porte de la suite.
      Je priai, dans mon for intérieur, pour que "The Voice" signe mon disque. Je ne le verrai donc pas, mais tant pis.
      Deux minutes plus tard, le "bodyguard" ressortit, mon disque à la main.
      "Monsieur Sinatra n'a pas le temps de signer mais vous pouvez laisser votre adresse, il vous enverra une photo". C'était donc non. Mais j'étais quand même heureux à l'idée d'obtenir cette dédicace par courrier.
      Ainsi s'achève ma première "non rencontre" avec le mythe.
      Quelques mois plus tard, je reçus une photo noir et blanc dédicacée à mon prénom. J'en fus très heureux jusqu'au jour où l'on m'affirma que ce n'était pas sa signature mais celle d'un secrétaire. Un « expert » européen fit cette déclaration lapidaire qui me laissa dépité à un point tel que je donnai la photo à un ami grand amateur de Sinatra.

      "Impossible n'est pas français" et, en 1992, car Sinatra n'avait plus honoré
      La scène monégasque de sa présence pendant 8 longues années, il revint enfin.
Le temps avait passé, j'avais pris un peu d'âge, j'étais fiancé et je n'avais plus vraiment le même culot. Tous les amateurs d'autographes parisiens que j'avais rencontrés me disaient que le chanteur était impossible à approcher et que les personnes assurant sa protection étaient assez redoutables. D'ailleurs, aucun de ces collectionneurs n'avait obtenu la signature tant désirée.
      Cependant, vers la fin de la matinée du 6 août 1992, ma fiancée et moi-même primes la route de Monaco avec des pensées positives et deux photos. Sur l'une d'elle, Frankie se tient debout à côté d'un Oscar et présente un document sur lequel est écrit "35th Annual Academy Awards Presentation", sur l'autre, il est en complet noir, coiffé d'un élégant chapeau et tient, du bout des doigts, un pardessus négligemment jeté sur son épaule droite. Son sourire est charmeur et sympathique.
Vers midi, nous pénétrâmes dans l'hôtel de Paris d'un pas décidé et prîmes place dans l'un des confortables sofas de l'impérial hall. L'attente pouvait commencer.
      C'est à 15 heures que nous vîmes apparaître Old Blue Eyes, sa femme Barbara et son garde du corps. Ils arrivaient du couloir du fond et tournaient d'un pas assuré vers la droite pour emprunter une sortie plus discrète. Sinatra était en tenue décontractée blanche, short et petite chemisette, et portait une serviette de bain sous le bras gauche.
       Dix mètres derrière eux, nous leurs emboîtâmes le pas rapidement.
Nous laissâmes le petit groupe dépasser la réception pour ne pas attirer l'attention du personnel et, trois mètres avant la porte tournante, presque collé à lui, je prononçais ces mots "Mister Sinatra ?". Il se retourna, visiblement surpris, mais pas plus que ne l'était son protecteur agacé qui, voyant immédiatement où nous voulions en venir, commença à me pousser sournoisement pendant que je résistais et demandais poliment un autographe.
      Sans dire un mot, il signa ma photo, puis celle de ma fiancée. Nous avions collé des post-it avec nos prénoms mais il n'y prit pas garde.
     Sa signature était fine et petite, ce qui témoignait, il me semble, d’une mauvaise vue. J'étais ébloui de notre chance inestimable, merveilleusement heureux.
      Dès qu'il eût terminé d'écrire, il fit volte-face et s'en alla. J'en profitai, par courtoisie, pour faire signer à Barbara, son épouse (et ex-femme d’un Marx Brother) une photo que j'avais faite au Tennis des célébrités. Elle en fut ravie et m'en remercia.
C'est peut-être mon plus beau souvenir d'autographe, car j'ai eu ce jour-là une signature que je ne pensais jamais obtenir et qu'elle émanait d'un mythe fondateur de la culture américaine du Xxème siècle.
      Quand Frankie est mort, je me suis remémoré cette fugitive rencontre et j'ai su que le temps passait inexorablement. Adieu Frank Sinatra.

 

 

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